• Un secret [essai]

    Un secret [essai]

     

    [Imagination, images, interprétation]

     

    Parfois, partager un secret est un acte empoisonné. Tentative d'interprétation du secret, ce que nous expérimentons tous les jours.

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    - Hey, what is it like to kill a man ?

    - I don't know, I said.

    But I know, right inside of me, I know.

     

    Une petite chenille, un sifflement, un souffle d'air, changement de pression, passe de ta bouche à mon oreille. Et c'est fini. C'est sorti de ta tête, c'est entré dans la mienne. Je te promets que je ne dirai jamais rien, mais ce n'est pas vrai. Pas vrai du tout. Une fois qu'elle est entrée en moi, la chenille ne peut plus ressortir.

    Même si je ne parle pas, je me trahirai. Mes yeux, le son de ma voix, les tremblements presque imperceptibles, mes pupilles qui se dilatent, mes doigts que je serre et qui s'emmêlent, les minuscules frissons qui parcourent ma peau : des signes de tromperie.

    Je me trahirai, car c'est ça, un secret. Je veux tellement le garder, qu'il a besoin de s'échapper. Ramper hors de moi, couler de mes parois, s'évaporer par les ouvertures chaudes.

     

    Un secret commence par s'infiltrer, dans ta vie. Comme une bêtise, une erreur non rectifiable, une tâche d'encre sur ton plus beau papier. Au début ce n'est qu'une tâche, un point d'encre, mais tu ne peux plus l'enlever, alors tu passes ton doigt dessus. Tu essaies de le rectifier, de le cacher, mais ça empire. C'est trop tard. Tu as gâché ton beau papier. Mais c'était le seul, tu n'as qu'une seule vie. Alors tu ratures, et tu commences à écrire les lignes suivantes. Mais c'est trop tard. Tes yeux remontent sans cesse le papier, la tâche obsède. C'est ton secret.

    Ça te ronge, doucement, ça s'étend sur ta feuille, toutes les fibres du papier absorbent l'encre, ta vie s'imprègne de ton erreur. Il se diffuse dans tes veines, quand ton cœur bat. Boum. Boum. Boum. C'est ton secret. Tu es infectée. Dommage.

    Il faut que tu me le dises, il faut soulager ton corps de ce poids immonde qui te pèse et te tient à terre. C'est ton secret.
    Tu me le dis. Bon, allez, à moi. C'est tout. Que moi. Promets moi que tu ne le diras jamais.

    Je ne dirai jamais rien, mais le mal est fait. Ça va se savoir. C'est trop tard. C'est le secret. Il est sorti de ta bouche, est entré dans mon oreille. Maintenant il atteint mon cerveau, et je le pousse dans un coin.

    On fait l'amour.

    Mais ton secret est entré en moi. Il se diffuse, il se propage. Lentement, mais sûrement. Je connais ton secret. Trop tard. Mon corps va réagir, le système immunitaire est réveillé. Mon corps va me trahir. Pardon.

     

    On a fini.

     

    J'ai dit :

    - Hey, what is it like to kill a man ?

    - I don't know, you said.

    But you know, right inside of you, you know.

     

    Tu sais.

    Tu sais.

    Tu sais.

    Tu sais.

    Tu sais.

     

    Tu sais. Mais maintenant, moi aussi je suis infectée. Mais, alors que tu rentres chez toi, le cœur léger d'avoir partagé ton secret, tu sais que tu viens de m'embarquer. Dans le sordide cercle. Immonde. De ton secret. Tu culpabilises. Un petit peu. Pas grave, tu n'es plus seule, au moins.

    De mon côté c'est dur. Tu es partie, mais tu m'as contaminée. Je suis possédée par le secret. Je n'y pense pas trop, je fume une cigarette. Le secret se tait. Il se cache, il attend le moment propice pour se montrer. Quand je te revois. Cette fois, le secret se montre. Je suis tranquille, je ne t'en parle pas. Mais tu as peur, toi, que je le dise.

     

    Tu vois mes yeux : mes pupilles sont dilatées, et elles te fuient. Tu vois mon cou : les veines sont tendues et gonflées. Tu vois ma bouche, qui frétille quand je te parle. Tu sens mon souffle, imperceptiblement saccadé. Ma peau : parsemée de petits boutons. Mes poils : hérissés.

    Faisons l'amour.

     

    Ce n'est plus pareil : tu ne me tiens plus, tu fais l'amour à ton secret.


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