• Théâtre #1 - Réparer les vivants (Emmanuel Noblet)

    Théâtre #1 - Réparer les vivants (Emmanuel Noblet)

    Pièce vue le mardi 16 février 2016 au théâtre du Champ-Fleuri, Saint-Denis - 19h00

     

    Réparer les vivants est une pièce d'une heure trente mise en scène et jouée par Emmanuel Noblet, et rien qu'Emmanuel Noblet. Elle tourne autour du don d'organe, de la mort, du cœur et de l'amour. J'y suis allée sans appréhension mais avec un joyeusement enthousiaste : «chouette, on va au théâtre !».

     

     

    Assisse au deuxième rang, sentant presque la scène sous mes yeux, je tremblote. Les lumières se sont éteintes, les murmures se sont évanouis, et l'acteur peut débarquer d'une minute à l'autre. Un frisson de joie me parcourt : «je suis là», que je me dis. Une émotion de plénitude et de plaisir extrêmes m'envahit. Ma figure se barre d'un sourire niais, mais mon rythme cardiaque s'accélère et je vire presque au rire jaune.

     

    La pièce commence enfin… Je suis d'abord gênée, que dois-je faire ? L'univers théâtral m'est encore vastement inconnu, je n'en suis qu'à la deuxième pièce de ma vie. Dois-je regarder l'acteur dans les yeux ? Dois-je suivre ses déplacements avec des mouvements de tête ? Que font les habitués dans le noir ? Je n'ose battre un cil.

    Je décide enfin de me décrisper et de me laisser aller… J'affronte avec aplomb les yeux noirs de l'acteur, qui mène son jeu comme un chef. Petit à petit, le rythme cardiaque diminue, le pouls ralentit, la pression baisse. Je sens mes membres retomber las et mous sur mon fauteuil. Je me laisse couler dans le creux de mon siège et enfin, je retrouve le confort…

     

     

    Réparer les vivants est une pièce bien menée, balancée entre perso-narration, persos-voix et perso-corps. Elle nous offre cinq minutes de vie pour une heure vingt cinq de mort (à une vache près). Au départ, on suit l'histoire sans savoir quelle direction elle va prendre : quelle peut être la fin ? Que va-t-il se passer ? Comment va être abordé le thème du don d'organe ? Point de vue solo (pour pièce solo), ou point de vue multiple ?

     

    Expulsé entre langage courant et jargon médical, le spectateur peut suivre le mouvement, qui va vite, et de gauche à droite, de droite à gauche, de la lumière à l'obscurité, d'un personnage à un autre. La façon avec laquelle Emmanuel Noblet gère et utilise l'espace est excellente : il n'est jamais trop à gauche, ou trop à droit. Une balance bien pensée entre mise en scène centrée puis tour à tour de chaque côté de la scène laisse la même satisfaction qu'un étalage de fruits rangés par couleur et forme, ou d'une boîte de bonbons parfaitement rangée. Les personnages sont très humains, ont des questionnements humains, des sentiments humains. Les scènes varient : humour directe, scène d'amour passionnée, hôpital institutionnel.

     

    La pièce met aussi en jeu un entrelacement entre le monde médical, institutionnel, «officiel», et le monde intime, personnel, sentimental.

     

    Il y a aussi eu des moments de suspension. Des moments où aucun bruit n'était produit, où le silence absolu était de mise, où nous semblions tous sur arrêt. C'étaient des moments hors du temps, dans lesquels je n'osais plus bouger, ni respirer. Nous étions tous en haleine, la langue pendante, devant le chirurgien ôtant le cœur. Chuuuut, où il va merder ! (comme si on pouvait changer le cours de la pièce… Pourtant, c'est bien l'atmosphère qui planait ; et je soupçonne bien un ou deux de mes confrères spectateurs d'avoir été effleuré par cette même réflexion).

     

    L'amour y est aussi très bien ressorti, il est abordé avec une légèreté apparente, mais tient en fait une profondeur réelle que le spectateur sait facilement discerner. Parmi les scènes humoristiques d'amour innocent, se sont glissées des scènes plus profondes qui donnent à réfléchir sur des «actions-symboles» comme le fait d'écouter battre le cœur de l'être aimé. Ce sont des moments forts avec des émotions fortes qui ressortent, notamment à cause de la fugacité de ces actions. Un jour on fait l'amour, demain je pleure ta mort. Une invitation à offrir plus de considération à ces moments éphémères ? Ces moments aujourd'hui au cœur des relations amoureuses comme des «bonjour», «salut», et «t'veux un café ?»…

     

    Ah… Et la mort dans tout ça ? Et le don d'organe ? Et la famille ? C'étaient pas les thèmes principaux ? Bah si ! Outre le fait que l'on retrouve des topoï (imprévisibilité de la mort, IRRÉVERSIBILITÉ), la mort est ici envisagée avec un point de départ historique : redéfinition de la mort avec la notion de mort cérébrale. En effet, nous sommes considérés comme mort dès lors que notre cerveau n'est plus fonctionnel, quand bien même le reste du corps répond encore de ses fonctions vitales. Tout cela amène donc le thème du don d'organe. La pièce nous offre une variété de points de vue sur le sujet : les parents, le mort y a-t-il réfléchi durant ses 19 années de vie cérébrale ?, les médecins…

     

    Ces derniers ont un rôle majeur et ils sont de véritables guides : ils nous ouvrent les portes de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière et nous embarquent en réa, en bloc opératoire… Bref, ils nous offrent les dessous du don d'organe et de la greffe. C'est bon de savoir «ce qu'on fait de nous», et évidemment cela encourage les débats dans l'entourage à la sortie du théâtre.

     

     

     

    J'étais bien au deuxième rang, au pied de la scène, littéralement à deux centimètres de son petit orteil. Cela rendait la pièce beaucoup plus vivante, et l'acteur aussi ! Je le sentais – au sens propre, comme au figuré –, la bonne odeur de son parfum était expulsée par ses mouvements, ses gestes étaient extrêmement proches, je sentais le vent de ses mouvements sur mes joues. Être aussi proche était une aubaine, une occasion d'être pratiquement assis sur la scène, de voir cet homme s'animer devant nous avec l'impression qu'il peut défaillir à tout moment : et si sa langue fourche ? Et s'il oublie son texte ? What if ???? C'est pas comme si c'était son métier…

     

     

    La mise en scène m'a époustouflée. Bon, je n'y connais pas grand-chose, mais à mon humble avis : elle a été gérée avec brio. Les supports visuels et auditifs s'intègrent parfaitement dans la pièce avec l'acteur. Il y a de tout : de la musique, pour les mouvements et les ambiances ; des images, qui donnent un côté statique parfois en contraste avec la valse de l'acteur, ou qui sont en mouvement pour accompagner, appuyer ou donner un élément de réflexion en plus du jeu de l'acteur ; du physique avec les objets ; de l'éclairage cadré pour appuyer des ambiances ou créer des espaces. L'acteur sait jouer avec ces éléments de mise en scène tantôt pour s'y fondre (et ainsi créer un lien entre mouvement et statique, entre la pièce «en chair et en os» et le côté support, accessoire de ces éléments) et tantôt apporter des compléments pour situer l'histoire (heures, lieux).

     

    Bref, un bilan très positif pour moi, une pièce très forte en émotion qui m'a beaucoup touchée. Je suis très admirative du monde théâtral, et j'ai envie de tenter moi-même un peu de théâtre… On ne sait jamais ! Je suis très heureuse d'avoir pu assister à cette représentation, et j'espère retourner au théâtre très prochainement ! Je remercie le Théâtre Champ Fleuri, son directeur (fort sympathique et très à l'écoute!), ainsi que l'université de la Réunion, qui nous ont offert l'opportunité de voir cette très belle pièce. Je tire évidemment mon chapeau à Emmanuel Noblet pour son jeu d'acteur et sa mise en scène tout à fait formidables.

    Je regrette cependant que nous n'ayons pas eu la réaction de Juliette après la mort de Simon, et que je n'ai pas pu entendre la «piste 7».

     

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 21 Mars 2016 à 22:41

    J'ai lu le livre "Réparer les vivants" de Kerangal et j'ignorais qu'il était mis en scène.

    En tout cas, j'ai adoré le livre. Comme tu le décris très bien, cette réflexion sur la mort, les réactions qu'elle entraîne, la peur de voir un morceau d'une personne qu'on aime ou la peur d'être sauvé par un organe inconnu, provenant d'une personne encore en vie il y a peu. Et toutes ces émotions sont transcrites à travers le point de vue omniscient de différents personnages, tous très différents. L'histoire aborde aussi justement les difficultés du milieu médical, dont on parle peu en littérature.

    Comment as-tu trouvé les paroles des personnages, le style? Parce que le livre était assez exceptionnel à ce niveau, le style était très beau, poignant.

      • Mardi 22 Mars 2016 à 07:30

        Bonjour,

        merci de votre avis. J'ai très envie de lire le livre maintenant.

        Le style oratoire de l'acteur était assez poignant, aussi. C'était à la fois détendu, léger, mais profond dans le sens. Et c'est ce qui donnait tout leur impact à ses paroles. Il y avait, comme je l'ai dit, des moments de suspension, des moments où tout s'arrêtait ; le temps se figeait sur la scène et dans le public. L'acteur contrôlait le temps avec sa voix, l'histoire était très bien rythmée, je trouve. Très fluctuante.

        En ce qui concerne les personnages même, ils étaient tous différents ; leurs paroles sonnaient très vraies et crédibles. Ils étaient très attachants. 

        En espérant vous avoir éclairé, 

        bonne journée !

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